STEU 2004 08 07 020 

18 mai 2018

 

Décès d'Edmond-Henry STEU

 

Algérie du 1/8/1957 au 30/11/1958

 

Le Docteur Edmond STEU à érit :

"La Malguerre ou un médecin chez les berets Noirs" 

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 Edmond STEU venait d'être promu dans l'ordre de Chevalier de la LEGION d'HONNEUR :

 

 

Nous vous proposons de lire le texte suivant, dont notre ami Edmond est l'auteur, et qui vous aideras à mieux saisir sa personalité. 

LA TRIBU des BENI-EDMOND.

-        Mon Lieut’nant !

-          Oui Kaebel ?

-          Mon Lieut’nant, on a quéq chose à vous montrer.

-          Oui ? Quoi donc ?

-          Eh ben … c’est une fatma.

-          Bon. Et alors ?

-          Ben ! C’est que. …

-          Oh ! Écoute, accouche !

-          Justement, c’est une bonne femme qu’on a trouvée en revenant. …

-          Une bonne femme ? Et qu’est-ce qu’elle a ta moukère ? Une fracture, la peste ou le choléra ?

-          Non, Mon Lieut’nant, elle accouchait.

-          Oui, et après ?

-          Elle était accroupie dans un couloir, au bord de la rue, et. … elle était en douleurs et. … elle appelait au secours… en arabe bien sûr.

-          Continues !

-          Eh ben, on l’a ramenée au dispensaire. On pouvait pas la laisser faire son marmot presque dans la rue. Et puis, elle était toute seule. … toute seule !

-          J’ai compris, Kaebel, j’ai compris. On va s’en occuper.

Sur la table du dispensaire, un amas de vêtements, de grosses guenilles plutôt, recouvrait une forme vague d’où émergeait une éruption de cris, de plaintes, sans doute même de grossièretés (toujours en arabe, bien sûr).

Je m’approchais et, avec mes quelques mots, m’efforçais de la rassurer. J’avais appris : « Je suis le médecin, n’aie pas peur (Aua t’bib, ma travigh) ».

Copie de STEU DIAPOS 370

Photo : Edmond-Henri STEU

Cétaitt une femme sauvage au visage tanné par le soleil, crevassé de rides précoces, une face tatouée de lignes brunâtres, des yeux noirs étincelants d’une   colère difficilement contenue, le regard exacerbé par le Khôl qui avait débordé en taches grises.

A mes pauvres phrases de contact, elle sembla se radoucir.

-         Wosh bik.

Un flot de paroles répondait à ma tentative de comprendre. Mais… curieusement tous mes infirmiers avaient fait cercle derrière moi et le brave ZERBIB – pied-noir arabisant - me traduisait rapidement :

-          Elle dit qu’elle est du douar xxx, que son homme est un salaud, qu’il ne s’occupe pas d’elle, que tous les hommes sont des porcs… et …

Nouvelle bordée de cris, de plaintes manifestement en rapport avec des douleurs évidentes quant à leur origine.

-          Zerbib, demande lui où elle en est et si elle veut bien que je l’aide.

La réponse vint aussitôt :

-          Le toubib peut faire ce qu’il veut, je veux que l’enfant sorte, j’ai trop mal. Qu’ALLAH nous assiste. …

Le silence qui avait marqué les débuts de cette étrange consultation médicale fut peu à peu remplacé par quelques rires étouffés, et Kaebel reprit perplexe :

-          On va l’accoucher mon lieut’nant ?

-          Je crois bien que OUI. … On ne peut pas la laisser dans la rue et puis, je vois que c’est urgent.

Avec une certaine retenue, je levais respectueusement les multiples voiles, aussi colorés que crasseux, qui dissimulaient la source des douleurs de cette pauvre femme.

Les yeux noirs me fixaient. Je répétais : « Ma travigh » et Zerbib traduisait : « je vais t’aider  mais il faut me laisser voir, me laisser faire ».

-          Il faut faire tout ce qu’il faut pourvu que l’enfant sorte.

Zerbib me rassurait, ses regards allant du visage inquiet de la femme au visage tranquille du toubib.

Il faut dire que je n’ai jamais rien trouvé, de toute ma carrière, de plus beau, de plus réjouissant, que la venue au monde d’un bébé. Il m’avait été donné, durant mes années d’internat, d’effectuer près de cinq cents accouchements. J’étais donc plutôt  ravi de cet événement qui, d’ailleurs, me changeait des abcès, des coupures, tuberculoses, etc. … ou éclats de grenades et autres réjouissances.

J’examinais donc, sans difficulté, la « parturiente ». Les robes, remontées jusqu’à ses genoux pliés, lui faisaient un rideau entre ses yeux et mon travail (et, également, les multiples paires d’yeux des infirmiers aussi intéressés qu’ébahis).

Tout était normal à l’examen. Il suffisait de crever une poche des eaux plus résistance que nature (du cuir ! ). Quelques fortes contractions et la tête chevelue du bébé arrondissait la porte de sortie qui se laissait dilater assez carrément. Je sentais, plus que je voyais, l’attraction silencieuse de mes gars, qui n’avaient jamais vu un accouchement.

Et brusquement, avec l’aide de quelques manœuvres bénéfiques, le bébé sortait une épaule… … et un superbe marmot, hurlant, sale comme une grenouille couverte de bouse de vache.

Soupir de soulagement, non de la femme, mais du demi-cercle de mes infirmiers. Quant à elle, elle remerciait abondamment. Elle dit ; « Qu’ALLAH te protège mon l’t’nant ! ».

Nous attendions la venue de l’arrière-faix. J’en profitais pour me faire plaisir en expliquant (avantageusement) aux gars le déroulement de l’accouchement classique et tout ce qui allait avec.  Le placenta sorti, je l’examinais soigneusement, sous l’intérêt vif de mes assistants subjugués.

Ce fur Kaebal qui pris la parole après mes conclusions.

-          Voilà. C’est magnifique, et c’est beau !

-          Zerbib, demande lui comment elle va l’appeler son marmot ?

Zerbib questionnait.

-          Elle n’en veut pas !

-          Si, si, elle va rentrer chez elle. Nous allons la reconduire. Le Lt Vauterin va intercéder pour qu’on nous donne une ambulance et une escorte.

Zerbib traduisait notre décision.

-          mais comment elle l’appelle ?

-          Elle dit qu’on a qu’à lui choisir un nom, n’importe lequel.

Stupéfaction générale, puis une explosion de rire.

-          On n’a qu’à l’appeler Edmond !

Lorsque je racontais la drôle de séance que nous avions vécue, le Lt Claude Vauterin eut un sourire marqué et conclut :

- Eh bien ! Dans quelques décennies, il y aura une tribu des Beni-Edmond dans le djebel.

 

 

Edmond – Henri STEU

 

Ce texte que m'avait envoyé Edmond STEU était destiné à enrichir mon ouvrage "Les Berets Noirs du BFONU en Algérie" tome I